Paris Turf - Eric Raffin : âJe suis le jockey du peuple...â
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Jean-François MEYER | Publié le dimanche 15 avril 2018
Eric Raffin
Mardi soir Ă Vincennes, c'est le poing levĂ© qu'Ăric Raffin franchit le poteau d'arrivĂ©e en vainqueur, en selle sur Full of Charm. Avec ses cinq victoires dans cette spĂ©cialitĂ© Ă l'Ă©tranger (en SuĂšde, en NorvĂšge, en Finlande, en Belgique et en Hollande), le quintuple Ătrier d'Or vient de mettre en plein dans le mille, en tant que jockey, aprĂšs une trĂšs belle lutte face Ă Alexandre Abrivard. Un grand moment pour le VendĂ©en ĂągĂ© de 36 ans.
On ne peut Ă©voquer la rĂ©ussite des âRaffinâ sans avoir une pensĂ©e pour le regrettĂ© Alexis Raffin, gagnant Ă Vincennes au sulky d'Occitaine Ă 70 ans. Jean, dit âJanoâ, l'homme de Pussy Cat, avait pris la relĂšve de son pĂšre, avant d'inoculer le virus des trotteurs Ă ses fils, Olivier et Ăric. Mardi, le cadet est entrĂ© dans le âclub des cinqâ, rejoignant quatre illustres jockeys ayant rĂ©ussi avant lui Ă signer mille victoires au montĂ©. Ă sa rentrĂ©e aux vestiaires, celui qui ne se dĂ©partit jamais de son sourire a eu droit Ă un accueil chaleureux, avec une petite douche au champagne.â
- Ăric, les messages de fĂ©licitations ont dĂ» affluer, mardi, sur le coup de 22âhâ10â?
Il y en a eu pas mal, mais celui de mon pĂšre m'a beaucoup Ă©muâ: âBravo, je suis trĂšs fier.â Il n'est pas du style Ă toujours complimenter, mĂȘme si cela lui arrive. Ma rĂ©ponse ne pouvait ĂȘtre autrement queâ: âC'est grĂące Ă toi.â Mine de rien, il m'a tout appris, de A Ă Z. C'Ă©tait mon maĂźtre d'apprentissage. Ma mĂšre, Catherine, m'a aussi toujours soutenu.
- Quand avez-vous commencĂ© Ă monterâ?
à 7 ou 8 ans, avec les poneys. AprÚs, j'ai toujours été au cÎté de mon pÚre. J'ai travaillé des chevaux de bonne heure.
- Ă cru mĂȘmeâ?
Il m'a toujours dit que, si j'Ă©tais capable de trotter un cheval sans selle, je pouvais tous les monter. Cela m'a motivĂ©. Je l'ai fait avec deux ou trois, dont Faon des BruyĂšres (N.D.L.R.â: Ăric a gagnĂ© Ă Vincennes avec ce protĂ©gĂ© de LĂ©on Dupont), avant de dĂ©buter en compĂ©tition Ă seize ans. Mon pĂšre Ă©tait persuadĂ©, Ă juste titre, que celui qui Ă©tait capable de faire ça possĂ©dait l'assiette et l'Ă©quilibre. C'est la base du jockey. Ce que l'on peut reprocher aux jeunes actuellement, c'est qu'en montant directement en avant ils ne travaillent pas trop ces deux choses essentielles. J'ai eu la chance d'ĂȘtre Ă bonne Ă©cole, surtout qu'il avait Ă©tĂ© lui-mĂȘme jockey. Entre parenthĂšses, il avait formĂ© aussi GaĂ«tan Prat.â
- Revenons Ă cette milliĂšme... Cela vous trottait dans la tĂȘte depuis un moment, n'est-ce pasâ?
Depuis le dĂ©but de l'annĂ©e, c'Ă©tait mon objectif. Tout s'est bien enchaĂźnĂ©. J'ai ma bonne jument, Draft Life, qui m'a bien reboostĂ©. Je ne pensais pas les atteindre quand j'ai commencĂ©. Je n'ai que 36âans. Cela fait une moyenne de cinquante par an... (Rires).
- S'il ne fallait en citer qu'uneâ?
La premiĂšre, avec DĂ©esse du Plessis. Quand tu es gamin, tu rĂȘves de monter et de gagner Ă Vincennes. DĂšs ma deuxiĂšme course, le rĂȘve est devenu rĂ©alitĂ©...
- AprĂšs, il y a eu de trĂšs beaux succĂšs...
Mon premier âCornulierâ, avec Joyau d'Amour, ceux avec Roxane Griff et, bien sĂ»r, une grande victoire familiale, celle de l'Ă©motion, avec Hugo du Bossis, entraĂźnĂ© par mon pĂšre et mon frĂšre, qui m'a offert mon premier groupe I, le Prix de Normandie. Tout le monde Ă©tait en pleurs... de joie. Cela fait longtemps maintenant. Je ne vis pas avec mon passĂ©, pas assez certainement, mais je reste tout de mĂȘme nostalgique. Si tu me mets devant la tĂ©lĂ© Ă regarder ce classique d'Hugo et que j'Ă©coute mon interview, je vais vite me dĂ©composer. Je m'Ă©meus de rien. J'ai aussi en mĂ©moire une grande victoire, palpitante, avec Nouba Turgot, dans le Prix des Ălites. Parti aux cinquante mĂštres, j'Ă©tais venu toiser Paisy Deam. Mais, surtout, je battais le âtaulierâ, Philippe Masschaele.
- Mardi, vous l'avez rejoint dans le cercle trÚs fermé des jockeys aux mille victoires...
Avec aussi Michel Lenoir, mon beau-pĂšre Yves Dreux et Jean-LoĂŻc Dersoir. Mais, par-dessus tout, je tiens Ă direâ: âMerci Philippe de m'avoir ouvert les yeux et fait Ă©voluer avec la monte en avant.â Si je suis arrivĂ© Ă ce score, c'est parce que j'ai rapidement pris le train en marche, Ă©tant le premier Ă l'imiter, mĂȘme si Nathalie Henry avait dĂ©jĂ les Ă©triers assez courts. Je n'ai pas peur de dire que j'ai essuyĂ© quelques critiques. Mais, mĂȘme si je gagnais dĂ©jĂ des courses en chaussant long, cela a rapidement portĂ© ses fruits. Je faisais donc abstraction des commentaires, n'ayant pas de doutes sur les bienfaits. De plus, Philippe me disaitâ: âNe t'occupes pas des on-dit.â
- Au niveau palmarĂšs, qu'est-ce qu'il vous manque en tant que jockeyâ?
J'ai eu la chance de remporter tous les groupes I. Il me manque quelques groupes II, dont un qui est trĂšs mĂ©diatisĂ©â: le Prix Lavater. C'est marrant mais j'ai souvent manquĂ© de rĂ©ussite dans cette prĂ©paratoire au âPrĂ©sidentâ.
- Des regretsâ?
J'ai fait quelques conneries sur des choix (sic) mais j'ai toujours essayĂ© de rester fidĂšle. J'ai souvent Ă©tĂ© rĂ©compensĂ© derriĂšre et ça ne m'a pas portĂ© prĂ©judice... (Il rĂ©flĂ©chit). Auriez-vous la possibilitĂ© de savoir pour combien d'entraĂźneurs j'ai gagnĂ© au trot montĂ©â? Je suis sĂ»r qu'il y en a plus de cent car je n'ai pas Ă©tĂ© que le jockey d'une grosse maison. Cela doit ĂȘtre assez impressionnant...
- Ănormeâ! 241...
Pour cette raison, et je l'ai dit rĂ©guliĂšrement, je suis le âjockey du peupleâ. C'est trĂšs bien ainsi. Quoi de mieux que de partager le plaisir.
- 1.000 succĂšs au montĂ© et, si tout se passe bien, vous allez atteindre les 3.000 au total en fin d'annĂ©e. Cela doit ĂȘtre au-delĂ de vos espĂ©rancesâ?
J'Ă©tais loin de penser à ça quand j'ai commencĂ©. Mon seul rĂȘve, c'Ă©tait de gagner des courses. AprĂšs, quand tu es en haut de l'affiche, tu ne veux plus en redescendre. C'est un cercle vicieux. C'est pour ça que j'ai toujours autant de pression malgrĂ© mon expĂ©rience. Celui qui n'en a pas, il est nul.
- Comme pour la condition physiqueâ?
De l'entretenir fait partie de mon mĂ©tier. Quand tu es sur un cheval, tu dois te sentir comme dans ton canapĂ©. Si tu commences Ă âtomberâ aprĂšs avoir montĂ© le premier et que tu en as trois dans la rĂ©union... Il faut ĂȘtre au top. Mon pĂšre m'a toujours ditâ: âOĂč il faut ĂȘtre bon, c'est dans les derniers cinq cents mĂštres, pas en partantâ!â Ătant free-lance, j'ai la chance, par rapport Ă d'autres, d'avoir du temps pour faire du sport, surtout de la course Ă pied et un peu de vĂ©loâ; pas tous les jours, avec les kilomĂštres passĂ©s sur les routes, mais trĂšs souvent lors du meeting d'hiver.
- Et au niveau alimentaireâ?
Je monte Ă 67 kg (N.D.L.R.â: le poids minimum pour les vieux chevaux), 66 en me faisant âsĂ©cherâ. Le plus important, c'est le poids humain et non le poids mort. C'est vrai que, pour les poulains, 58 kg (poids minimum), c'est mieux, mais on ne peut pas tout avoir. Pour la nourriture, je dois faire attention et me prive en sautant des repas (N.D.L.R.â: il Ă©vite souvent de dĂ©jeuner), mais, quand je me mets Ă table, je mange Ă ma faim. J'aurais peut-ĂȘtre dĂ» aller voir un nutritionniste, mais je ne l'ai pas fait. J'espĂšre ne pas avoir de problĂšmes Ă l'avenir mais je me gĂšre comme ça.âQuand j'arrĂȘterai de monter, je prendrai certainement deux ou âtrois kilos, mais ça ne m'empĂȘchera pas de dormir...
- Rassurez-nous, ce n'est pas pour demainâ?
Qu'on le veuille ou non, je fais partie des plus vieux des pelotons montĂ©s, avec Franck (Nivard), Jean-LoĂŻc (Dersoir) et Pierre-Yves (Verva), mais ça ne me fait pas drĂŽle car je me sens jeune. Le jour oĂč je serai ârasĂ©â aprĂšs le poteau et que le soir, fatiguĂ©, il faudra que j'aille me coucher, j'arrĂȘterai. Pour le moment, je suis extra physiquement et je ne peine pas.
- En regardant de plus prĂšs, on s'aperçoit que, sur vos 1.000 succĂšs sous la selle, 535 ont Ă©tĂ© obtenus Ă Vincennes. Pas mal, nonâ?
C'est un peu normal car c'est lĂ oĂč je cours le plus souvent. Vous pouvez regarder mais je suis sĂ»r que je n'en ai pas gagnĂ© cent en province lorsque les conditions mentionnaient âpoids libreâ. Ă 67 kg, alors que des gamins montent Ă 50 kg, vous ĂȘtes mort. C'est logique. Imaginez, quand j'ai dĂ©butĂ©, il y avait des âĂ©preuves APâ avec une avance de vingt-cinq mĂštres aux apprentis, sur les professionnels, en plus de l'avantage de poids qui pouvait aller jusqu'Ă quinze kilos... En vingt ans, les choses ont beaucoup Ă©voluĂ©. Pour l'anecdote, lors de ma premiĂšre course Ă Vincennes, je battais Laurent Abrivard, qui nous rendait la distance dans ce type d'Ă©preuve, sur un 2.175 mĂštres, et, pour la milliĂšme, je devance son fils, Alexandre...
- Mais, alors que vous Ă©tiez âchaudâ dans la deuxiĂšme course mardi, c'est son frĂšre, LĂ©o, qui a retardĂ© l'Ă©chĂ©ance de deux petites heures...
C'est vrai que je pensais pouvoir l'emporter avec Dédé de Montauran. Gagner la milliÚme pour la famille Dubois est bien tombé. Que ce soit Jean-Philippe, Julien ou Louis Baudron, ils me font confiance depuis un bon moment et me restent trÚs fidÚles, à l'image de Sébastien Guarato, pour lequel j'ai gagné le plus grand nombre de courses montées (85), de Franck Leblanc et, naturellement, de mon beau-pÚre (Yves Dreux).
- Vous ĂȘtes en tĂȘte au classement des jockeys. En route pour un sixiĂšme Ătrier d'Orâ?
Ce n'est pas un objectif en soi. (Il insiste) Oui, oui, oui. Je ne m'en fous pas, la motivation est toujours là , intacte, mais nous verrons la situation au 1er novembre, en début de meeting...
- Et de tenter de battre le record de Michel Lenoir avec 1.235 victoires en tant que jockeyâ?
Ce sera si ma santĂ© me le permet.â